29 mars 2016

Une activité bénévole pour les bénéficiaires du RSA ?


Une initiative qui a fait grand bruit
Le conseil départemental du Haut-Rhin a approuvé le 5 février dernier à l'unanimité (avec abstention de l'élue socialiste) "le principe d'instaurer un dispositif de service individuel bénévole que pourraient effectuer les  bénéficiaires du RSA" en leur imposant 7 heures de bénévolat par semaine. Il ne s'agit pour l'instant que d'une déclaration d'intention, à visée plus politique que juridique, les modalités de mise en œuvre ainsi que le périmètre opérationnel du dispositif restant à définir
A une question orale posée à l'Assemblée Nationale par Eric Straumann, député et président du conseil départemental du Haut-Rhin, sur le point de savoir si le gouvernement envisageait de déférer cette délibération devant le Tribunal Administratif, Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé a répondu :
« Dans votre délibération, vous faites allusion à de prochaines délibérations qui permettront de préciser la décision que vous avez prise. Donc, en tout état de cause, pour le moment, le gouvernement attend de voir quelles prochaines délibérations vous pendrez dans votre collectivité".
Cette réponse a pu être  interprétée dans un sens politique par certains, dont Eric Straumann, comme la manifestation d'un certain intérêt du gouvernement pour une réflexion sur une mesure de nature à constituer un atout supplémentaire pour une insertion des bénéficiaires du RSA.
Toutefois, la ministre Marisol Touraine s'est déclarée hostile à cette proposition, estimant qu'il était impossible de conditionner le versement du RSA à du bénévolat et qu'il soit interrompu pour ceux qui n'auraient pas effectué de bénévolat.

Ce qu'en pensent les associations
Du côté du monde associatif, cinq associations de défense du bénévolat (France Bénévolat, Passerelles et Compétences, Tous bénévoles, Pro Bono Lab et Benenova) rappellent dans un communiqué que "le bénévolat est une pratique libre et volontaire, non définie par la loi". De son côté le Mouvement associatif indique : « la bonne réponse ne se trouve pas dans une obligation punitive, mais bien plutôt dans une politique volontariste d'encouragement, de mise en relation, de facilitation : faire connaître les infinies possibilités du bénévolat, créer des espaces de rencontres adaptés, physiques ou numériques, entre associations et citoyens, inciter et non pas imposer. »
(Le terme d'"obligation punitive", signalons-le en passant, est assez choquant, celui d'"obligation morale" aurait mieux convenu - NDLR !)

Ca se discute...
Les réactions n'ont pas été clairement et définitivement hostiles, que ce soit de la part du gouvernement (qui "demande à voir") que de la part des associations qui s'en tiennent à une position dogmatique sur la définition du bénévolat , tout en entr'ouvrant cependant la voie à la mise en œuvre d'une politique de sensibilisation au bénévolat et de rapprochement avec les associations.
Les témoignages sont nombreux, tant de certains travailleurs sociaux que de bénéficiaires du RSA eux-mêmes, pour dénoncer une sorte d'exclusion sociale, ou tout du moins citoyenne. Des reportages ont montré le sentiment d'exclusion et d'assistanat, la solitude et le désoeuvrement de certains bénéficiaires qui ont perdu toute référence à une vie sociale et citoyenne. Pour eux, le bénévolat semble être une incitation bénéfique "à se lever le matin", à avoir un but dans la journée,  à se présenter à un rendez-vous, à se sentir redevenir un citoyen utile, à apprendre quelque chose, à entrevoir plus concrètement une réinsertion...autant de raisons pour considérer que cette orientation présente un intérêt certain.
Certes, le bénévolat ne peut être que volontaire sans "récompense financière" ! alors, ne nous accrochons pas à une position dogmatique et idéologique, et appelons-le autrement pour les bénéficiaires du RSA : prestation citoyenne, par exemple, ce qui n'a rien de "punitif" ! si le volontariat demeure bien la base incontournable de l'engagement, rien n'empêche d'inciter fortement les bénéficiaires du RSA en leur présentant les avantages que cet engagement représente pour l'avenir de leur insertion et l'enrichissement de leur CV.
En tout état de cause, c'est un sujet d'importance qui implique le monde associatif. Un million de personnes bénéficient du RSA, dont la moitié connaît des problèmes de maladie,  de garde d'enfants, de transport, de fragilité psychologique, par conséquent très éloignée de l'emploi...il serait donc difficile, en effet, d'imposer cette mesure à l'ensemble des bénéficiaires. Un RSA à deux vitesses ?

et chez les autres ?
La France n'est pas la seule, et encore moins la première où se lance un tel débat, et un rapide tour d'Europe nous apprend que cette incitation à travailler en contrepartie d'aides sociales n'est pas une exception.
En effet, le Portugal a créé un "tribut solidaire" qui impose aux bénéficiaires d'allocations chômage ou de minima sociaux de travailler pour la communauté afin de «faciliter» leur réinsertion sur le marché du travail, en échange de leurs indemnités.
En Espagne, les chômeurs doivent signer un «engagement d'activité» lors du dépôt de leur dossier. La durée d'indemnisation varie de quatre mois à deux ans.
En Allemagne, depuis 2005, les allocations chômage, sont désormais versées durant douze mois maximum. Le demandeur d'emploi a ensuite accès à une indemnité baptisée «prestation chômage bis» (sorte de RSA) de 400 euros par mois. Mais le chômeur est obligé d'accepter des "petit jobs" (appelés jobs à 1 euro"), sans charges sociales, proposés par les communes et les associations, pour une durée maximum de 30 heures par semaine.
L’Angleterre va bientôt mettre en place la diminution progressive puis la suppression des indemnités chômage "longue durée" après plusieurs refus d' emploi.
Dans les pays du Nord, modèles d'État-providence : Au Danemark, les allocations chômage ne sont plus versées que pendant deux ans maximum. Les chômeurs doivent accepter les offres de leur commune. Il peut s'agir d'un véritable emploi, mais aussi, faute de mieux, d'un travail d'intérêt général, d'une formation ou d'un stage.
En Suède, où le montant de l'indemnité chômage est dégressif, le refus d'un emploi «convenable» entraîne la diminution, puis la suppression des indemnités.

En Europe, la tendance est donc au travail, en échange du maintien des indemnités sociales équivalentes au RSA.
Notons enfin que cette idée vient d'être reprise par le conseil général de l'Isère. 
De son côté, la commune d'Aulnay-sous-bois (qui gère elle-même le RSA alors que dans la plupart des communes, ce service relève du conseil départemental) réfléchit à un projet de signature d'une "charte" par laquelle le bénéficiaire s'engagerait à "s'impliquer dans les missions et activités qui lui sont confiées" et à "respecter les horaires et disponibilités convenues", le volontariat demeurant néanmoins la base de l'engagement.

Le débat n'est donc pas clos !
 "obligation punitive" ou mesure d'encouragement ?

Louise Forestier