15 octobre 2015

Des siciliens citoyens qui ont osé ! !

"pizzo" n'est pas le masculin de "pizza" !
Ce n'est pas non plus une pâtisserie italienne. Il désigne l'"impôt" (racket)que la mafia sicilienne fait peser sur les commerçants, artisans ou prestataires de services siciliens. Selon des enquêtes réalisées en 2008, plus de 160 millions d'euros par an étaient extorqués à des commerçants ou des entrepreneurs dans la seule ville de Palerme, soit dix fois plus pour l’ensemble de l’île selon les mêmes estimations. Le pizzo touche à peu près 80 % du commerce de la Sicile. Selon l’université de Palerme, il s’élève en moyenne à environ à 500 euros par mois pour un commerce de détail et 600 euros pour les hôtels et restaurants. Quant aux entreprises de bâtiment, elles sont sollicitées à hauteur de 2.000 euros par mois selon le quotidien économique Il Sole.

Un sursaut citoyen
C'est face à ce fléau qu'est née l'association "Addio Pizzo" ("Adieu pizzo"), fruit d'une réflexion et d'une prise de conscience courageuse de jeunes siciliens, étudiants ou actifs, proches des mouvements altermondialistes mais non politisés, qui ont décidé d'agir, malgré l'assassinat d'un commerçant qui avait tenté une expérience similaire dans les années 90.
Tout a commencé en juin 2004 par une campagne d'affichage massif en une nuit sur tous les murs de Palerme, suscitant un grand émoi dans la ville, un véritable réveil citoyen interpellant les pouvoirs publics.
« Un peuple entier qui paie le pizzo est un peuple sans dignité » pouvait-on lire sur les affiches rappelant des avis de décès.

Addio Pizzo, un réseau actif de commerçants et de consommateurs
L’association a pour objectif de créer un réseau de consommateurs et de commerçants qui refusent le racket.
  • En ce qui concerne le commerçant, celui-ci signe un « contrat » symbolique où il s’engage à ne jamais payer et à dénoncer toute tentative d’extorsion de fonds.
  • Les consommateurs sont appelés à soutenir les commerçants rebelles en s'adressant à eux en priorité, de manière à ce que les courses quotidiennes ne servent pas à financer la Mafia, même indirectement. L'action en direction des consommateurs appelés à signer le manifeste, a débuté à l'occasion d'une première journée anti-racket en mai 2006 sur l'une des principales place de Palerme.
  • Le site internet de l'association met à jour en permanence le nombre de commerçants adhérents (près de 1000 à ce jour, ce qui est encore peu) et leur localisation sur une carte de la Sicile, le nombre de consommateurs qui soutiennent activement l'association par des dons  et des manifestations (13.000), le nombre d'écoles auprès desquelles des bénévoles sont intervenus pour une action de sensibilisation aux méfaits de l'activité mafieuse (près  de 200 dans la province de Palerme)
  • L'association édite aussi des produits en lien avec son action, notamment un t-shirt orné du slogan et du logo, un calendrier...
          Le site de l'association : http://www.addiopizzo.org/ (en italien)

La magistrature et les autorités locales se sont laissées convaincre par le projet. D’après des membres de l’association, des policiers viennent régulièrement les visiter afin de s’assurer que tout va bien. Et les juges n’hésitent plus à inculper pour « complicité » les entrepreneurs et les commerçants, une grande majorité de la société sicilienne soutenant le mouvement. Les adhérents, quant à eux, pratiquent entre eux une immense solidarité. On note, par ailleurs, aucune action violente (ou très rarement) à l'égard des commerçants adhérents.
Il est vrai que "Cosa nostra" est très occupée avec ses affaires internationales (trafic de drogue, d'armes, d'organes et d'êtres humains...) en liaison avec toutes les mafias du monde ! elle sait aussi qu'il faut compter avec l'opinion publique et la société sicilienne qui, dans un élan citoyen, hésite de moins en moins à dénoncer.

Une occasion de tourisme solidaire et responsable
Nous avons eu l'occasion de connaître Addio Pizzo à l'occasion d'un voyage en Sicile car l'association gère un magasin à Palerme (sur le corso Vittorio Emanuele), dans lequel on trouve un grand choix de spécialités siciliennes et de souvenirs (gastronomie, vins et alcools, céramiques, artisanat, jouets, livres...) déposés par des commerçants et des artisans qui ont dit "non". On vous remet gratuitement une carte de Palerme localisant tous les commerces, restaurants, hôtels et artisans qui refusent le pizzo. Ils sont environ 500. C'est encore trop peu.
A ma question "n'as-tu pas l'impression d'exercer une activité dangereuse ?", "on les attend !" me répond le jeune responsable du magasin, en gonflant et exhibant des biceps d'haltérophile !

Il faut noter aussi la création de Addiopizzo Travel, un tour operateur qui propose, à l'occasion de la visite de sites touristiques, de connaître des lieux, des personnes, des faits et des récits significatifs du mouvement anti mafia
 
Pensez-y à l'occasion d'un voyage en Sicile ! Le site de l'association fait état d'un grand nombre de messages de soutien et de solidarité venus du monde entier, mais la partie est loin d'être gagnée !

Louise Forestier