08 juin 2016

Bénévolat, bonheur, santé, longévité : une corrélation ? Des réponses scientifiques.


L’idée d’associer l’engagement envers une juste cause à l’épanouissement individuel et la santé est une idée assez récente qui s’inscrit bien dans l’air du temps mais qui est aussi prise très au sérieux par la science, si l’on en croit l’important développement d’un champ scientifique qui étudie, depuis une trentaine d’années, les corrélations entre attitudes et engagements altruistes, bien-être, santé et longévité et parmi lesquelles s’inscrivent les études sur les effets bénéfiques du bénévolat. "Faites-vous du bien à vous même en faisant du bien aux autres",semblerait dire ce nouveau domaine d’investigation scientifique. Un phénomène que l’on peut considérer comme particulièrement intéressant, si l’on veut bien considérer que les justifications en faveur de l’engagement relevaient auparavant plutôt d’affirmations normatives telles que le primat du collectif sur l’individu, le devoir moral et un certain esprit de sacrifice au nom de « l’intérêt supérieur » de la cause défendue. Ce nouveau champ d’intérêt de la science pourrait bien constituer une argumentation en faveur du bénévolat assez novatrice finalement ? Quel est ce champ scientifique et que disent ces études ?
Le contexte dans lequel se sont développées ces études

Pour le comprendre, il convient de préciser rapidement qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’importants changements de paradigmes qui se sont produits récemment dans différentes disciplines scientifiques telles que l’éthologie, les neurosciences, et, dans les sciences sociales, la psychologie et même certains courants de l’économie ! Alors que ces disciplines avaient jusqu’ici mis en avant des valeurs individualistes, de compétition et de croyance en la sélection naturelle comme moteur unique de l’évolution, la révolution dans ces sciences a consisté à tourner le regard vers l’importance de la coopération, des comportements pro-sociaux, de l’empathie, des attitudes altruistes et de montrer leurs effets bénéfiques au niveau de l’individu, de la collectivité et de l’évolution de l’espèce. Et ceci, sans même compter la nécessité absolue de nouvelles attitudes sur le devenir de la Terre ! Ainsi, la théorie de l’évolution a montré comment la coopération au sein des espèces est beaucoup plus efficace que la lutte, si l’on en croit des auteurs comme Joan Roughgarden et Thierry Hoquet, auteurs du « gêne généreux : pour un darwinisme coopératif » ; la psychologie a montré, depuis les années 2000, l’importance de l’empathie et des attitudes prosociales pour la croissance personnelle de l’individu et même la « science économique » commence à relativiser l’idée que l’enrichissement matériel serait la seule source de bonheur, à travers des études empiriques qui ont montré qu’au-delà d’un certain niveau, l’accroissement du revenu n’est plus source de bien-être et que ce sont les liens sociaux qui apportent le plus.
Ce que disent les études et enquêtes sur les effets personnels du bénévolat pour la personne qui aide

La « psychologie positive », branche de la psychologie expérimentale s’est particulièrement intéressée aux effets du bénévolat en termes de bien-être, d’épanouissement personnel, et de santé mentale et même physique. Dans son ouvrage, « la psychologie positive », Rébecca Shankland, l’une des pionnières de la discipline présente un certain nombre d’enquêtes sur le sujet. Ainsi, des chercheurs en psychologie sociale ont montré que l’implication associative contribuait à « réduire la souffrance psychique et les effets négatifs des situations stressantes » et « augmentait le bien-être physique et psychique ». Certains parlent même de « shoot de l’aidant » pour désigner cette augmentation des affects positifs et de la satisfaction par rapport à la vie qu’apporte l’engagement envers autrui. Cela concerne d’ailleurs toutes les tranches d’âge car des recherches expérimentales ont montré que les adolescents altruistes présentaient moins de risques de dépression et de suicide que les autres et l’altruisme répété aurait, selon d’autre chercheurs cités par Shankland, un impact positif sur la santé physique et mentale visible encore 50 ans plus tard ! Tandis que chez la personne âgée, d’autres chercheurs ont montré que l’implication bénévole leur apportait une satisfaction par rapport à leur vie actuelle et un désir de vivre plus élevés que les individus de groupes témoins. Avec de surcroît une longévité plus importante.
Et les bénéfices concernent aussi la santé physique stricto sensu. Ainsi, une étude canadienne montre que faire du bénévolat réduit aussi les risques de maladies cardiovasculaires. La générosité ne réchauffe pas seulement le coeur, elle le protège aussi !, selon des chercheurs de l’Université de ColombieBritannique à Vancouver, dans une étude parue dans le Journal of the American Médical Association. Cette étude, faite sur des lycéens, a montré que les jeunes « plus généreux » présentaient un niveau de cholestérol plus bas, moins de graisse en plus des bienfaits purement psychiques.

Comment expliquer ces impacts du bénévolat sur la santé, qu’elle soit mentale ou physique ?
Concernant les maladies physiques telles que la tension artérielle le lien est indirect. Ainsi, selon Rodlescia Sheed, professeur de psychologie à l’Université Carnegie Mellon, « le fait d’avoir des relations sociales réduit le stress et augmente l’estime de soi. Deux facteurs déterminants pour lutter contre certaines pathologies ». « Le bénévolat pourrait être un moyen efficace de réduire la tension artérielle tout en évitant de passer par les médicaments » déclarent certains chercheurs.
Bien sûr, les effets paraissent plus faciles à expliquer sur le bien-être et la santé mentale. Les comportements pro sociaux en général sont souvent synonymes de réduction des conduites à risques, de construction de liens plus solides entre les individus, d’amélioration de l’estime de soi, de sentiment d’utilité ou de meilleur sens donné à sa vie.
Un certain nombre d’auteurs ont tenté de fournir des explications théoriques à ce lien bonheur/engagement. Ainsi Jacques Lecomte, psychologue, auteur de « Donner un sens à sa vie », considère que si une part du bonheur relève de l’hédonisme, la quête de plaisir, une autre part, celle liée à l’engagement, relève de « l’eudemonia », terme qu’il emprunte à Aristote qui entendait par là une « vie réussie » et axée sur la vertu. Selon Lecomte, le bonheur lié à ce type d’action (l’engagement) relève de « l’eudémonisme », qu’il oppose au bonheur hédoniste, selon lui plus fragile car trop dépendant des conditions extérieures. Dans le même esprit, une étude menée notamment par le moine bouddhiste Matthieu Ricard parue dans la Review of general psychology en 2011, oppose un modèle de bonheur durable qui serait basé sur le fonctionnement d’un « soi-décentré » donnant une place importante à autrui, à un bonheur « soi-centré » correspondant à la maximisation du plaisir et qui serait beaucoup plus instable car trop dépendant du contexte et des aléas de la vie.
Enfin, la meilleure qualité des relations sociales, l’impression de mieux contrôler sa vie et l’amélioration de l’estime de soi sont aussi des sources de réduction du stress, de l’anxiété et de la dépression engrangées par le fait d’apporter de l’aide aux autres. Ainsi que, élément particulièrement important, la motivation intrinsèque pour l’action !
       Mais est-ce à dire que l’altruisme et l’engagement se réduisent à une question de bien-être ?
CC    Cela reviendrait à dire qu’in fine, ils ne feraient qu' obéir à des motivations très égocentriques ! Il n’en est rien pour Matthieu Ricard car selon lui, ce type d’effets décrits ne sont que des sous-produits secondaires de l’engagement altruiste et n’excluent nullement la part importante de désintérêt et de motivation pour le bien des personnes que l’on aide. Au reste, les études semblent montrer que ces bienfaits apparaissent surtout si l’on a une motivation intrinsèque pour l’action et un réel souci  altruiste pour la personne que l’on aide indépendamment de notre bien propre.
Ainsi, si on veut engranger des bienfaits personnels à l’engagement bénévole, mieux vaut être sincère dans sa démarche. On peut imaginer qu’un égoïste qui déciderait de s’engager car il aurait entendu parler de ces bénéfices ne verrait rien se produire chez lui d'où l'intérêt d'être authentiquement altruiste !
                                                            Bernard Grozelier