24 février 2018

Médecins du Monde au chevet des mineurs étrangers non accompagnés

"Je dors dans un foyer sur un matelas récupéré dans une poubelle, je suis seul en France", indique Ibrahima, 17 ans (tous les prénoms ont été modifiés). "Je dors dans la rue, j'ai déjà été agressé par une personne, je ne me sens pas en sécurité de dormir dans la rue", déclare Bertrand, 16 ans. "J'ai été deux fois à l'hôtel et hébergé par une personne qui m'a proposé des relations sexuelles, rien n'a été facile pour moi ici", confie Mamadou, 17 ans. Des témoignages de cet ordre, émanant de mineurs étrangers sans famille ni adulte investi de leur responsabilité sur le territoire français, Médecins du monde (MDM) en a recueilli pléthore. De fait, après le parcours souvent difficile – c'est peu de le dire –accompli par ces jeunes migrants, l'arrivée en France ne signifie pas forcément la fin des souffrances.

Les mineurs non accompagnés (MNA) sont nombreux à venir dans les centres d'accueil et de soins de MDM. Il s'agit presque toujours de garçons, dont l'âge moyen avoisine les 16 ans et qui, dans près de 90 % des cas, vivent à la rue. Constatant leur état alarmant au plan médical, mais aussi administratif et social, l'association a mis en place des programmes spécifiques à leur intention. Le premier a démarré à Paris en 2015, les autres à Caen, Rouen et Nantes, l'année suivante. L'idée est de proposer un accompagnement psycho-médico-social adapté, d'une part aux primo-arrivants dont la situation n'a pas encore été étudiée par les services départementaux de l'Aide sociale à l'enfance, chargés de protéger les enfants en danger, quelles que soient leur nationalité et la régularité de leur entrée ou de leur séjour en France ; d'autre part, aux adolescents qui, après évaluation de leurs papiers et de leur récit – parfois aussi en dehors de toute analyse de leur cas, sur la seule foi de leur apparence physique  – se sont vu signifier un refus de protection (1). L'inconditionnalité de la prise en charge des jeunes qui se déclarent mineurs non accompagnés ne s'entend, en effet, que si leur minorité et leur isolement sont avérés. Ils sont alors inexpulsables jusqu'à leur majorité.

                                                       (photo Dragan Lekic)

Remettre du sens dans des parcours chaotiques

En 2017, 243 adolescents ont été accueillis à la permanence parisienne de MDM dédiée aux mineurs non accompagnés (2). Ils s'y sont présentés spontanément, avertis de son existence par le bouche-à-oreille, ou ont été orientés vers elle par différents acteurs (associations, collectifs citoyens, avocats, etc.). "Les jeunes que nous rencontrons, quasi exclusivement des garçons, sont surtout venus d'Afrique subsaharienne (Côte d'Ivoire, Mali, Guinée)", précise le Dr Daniel Bréhier, co-responsable de ce programme animé par une équipe de 30 professionnels (généralistes, pédiatres, psys, accueillants-accompagnants, assistante sociale, ...) – dont 27 bénévoles.

Les mineurs reçus à Paris par MDM n'ont pas été "mandatés" par leur famille pour partir en quête d'un avenir meilleur en Europe, explique le Dr Bréhier. Ils se sont mis en route à la suite de conflits familiaux, notamment survenus après la mort de leur père et/ou de leur mère. Lorsqu'il s'est agi du décès paternel, les jeunes ont été pris en charge par leur oncle qui ne les a pas traités comme ses propres enfants – ils ont dû arrêter l'école et travailler dans les champs ou sur les marchés. Quand c'est la mère qui a disparu, le père s'est remarié et ce sont les relations avec la belle-mère qui ont fait difficulté. Dans les deux cas, les adolescents ont commencé par fuguer, puis ils ont fini par partir, avec d'autres, sans savoir où ils iraient.

Entrecoupés d'arrêts ici ou là, pour travailler ou parce que les mineurs sont emprisonnés, "ces voyages durent des mois et des mois, voire des années", souligne le Dr Bréhier. Les jeunes y sont constamment confrontés à la violence, à la peur et à la mort. En France, c'est à la rue, aux institutions et à la mise en cause de leur parole qu'il leur faut faire face.  "Compte tenu de l'importance de la parole en Afrique, cette suspicion est particulièrement éprouvante pour eux", commente le psychiatre.

A leur arrivée à la permanence de Médecins du monde, les adolescents présentent souvent un état de santé général très dégradé : en 2017, 39 % d'entre eux ont dû être immédiatement accompagnés vers une prise en charge hospitalière. Ils sont encore plus nombreux à souffrir de troubles psychiques. Il ne s'agit pas de pathologies psychiatriques proprement dites, mais de réactions à ce qu'ils ont vécu (troubles du sommeil, de la mémoire, anxiété, syndrome de stress post-traumatique). "Les jeunes disent avoir la tête qui chauffe, ils sont fatigués de lutter contre les pensées qui les assaillent, ils ont également du mal à se repérer dans le temps, lieux et durées sont confondus", détaille le Dr Bréhier. Rien d'étonnant, du coup, à ce que leurs récits soient aussi chaotiques qu'ont pu l'être leurs périples. Or, lors de l'évaluation de leur situation, des détails extrêmement circonstanciés leur sont demandés et les incohérences de leurs déclarations conduisent à en questionner la véracité et, partant, celle de l'âge qu'ils allèguent.

Précisément, aider les mineurs à remettre un peu de continuité et de sens dans leur vie et dans leurs histoires est au fondement du soutien que Médecins du monde leur apporte. Cela passe par des entretiens individuels, ainsi que par des groupes de parole où les MNA se retrouvent à une dizaine. Des consultations sociales permettent, par ailleurs, de répondre à leurs besoins fondamentaux en les orientant vers des structures adaptées et de favoriser l'ouverture de leurs droits.

Un nécessaire temps de mise en confiance

"Les obstacles dressés à l'encontre de l'accès aux droits et aux soins des enfants non accompagnés et les négligences institutionnelles dont ils font l'objet constituent des facteurs qui renforcent la vulnérabilité" de ce public extrêmement fragilisé et surexposé aux dangers, pointe Médecins du monde. Le 8 février, plusieurs avocats ont d'ailleurs alerté les autorités sur la situation "très préoccupante" de 128 mineurs de 13 à 17 ans, nommément identifiés, "livrés à eux-mêmes dans les rues de Paris, sans abri, par des températures négatives". C'est ce type de constat qui conduit MDM à militer pour un nouveau modèle d'accueil et de prise en charge des primo-arrivants. Les demandes d'évolution portent tant sur un changement dans les pratiques et l'esprit de l'accueil des mineurs (fin des refus-guichet – refus de protection fondé sur le "faciès" du jeune, le jour même où il se présente pour une évaluation (3) –, mise à l'abri inconditionnelle, écoute bienveillante), que sur une refonte du dispositif lui-même. L'idée est de dissocier totalement l'accueil de l'évaluation, et de faire de l'accueil un moment privilégié de répit et de soins.  "Comme il existe un temps incompressible avant l'évaluation – en moyenne 2 semaines à Paris –, ce temps doit permettre de favoriser la mise en confiance des jeunes et leur accès immédiat à des soins physiques et psychiques dispensés dans un endroit neutre", déclare Sophie Laurant, co-responsable du programme parisien de MDM.

Ces améliorations, cependant, sont-elles de saison ? A l'heure où l'Etat entend retirer aux services départementaux d'Aide sociale à l'enfance la responsabilité de l'hébergement provisoire d'urgence et de l'évaluation des jeunes se disant mineurs non accompagnés, Médecins du monde en doute fort. Bien sûr, les départements ont besoin de se voir allouer plus de moyens financiers pour faire face au nombre d'arrivées grandissant d'adolescents étrangers (4). Mais, transférer à l'Etat, compétent en matière d'immigration, la prise en charge initiale de ces jeunes, en les écartant du dispositif de protection de l'enfance, revient à nier leur minorité et les dangers qui les menacent, s'insurge l'association. Ces mineurs sont d'abord des enfants, avant d'être des migrants, plaide-t-elle.

Caroline Helfter


(1) De nombreux mineurs, qui ont été évalués "adultes" par l'Aide sociale à l'enfance, passent souvent plusieurs mois à la rue avant de voir leur minorité reconnue par un juge.

(2) Permanence pour les mineurs non accompagnés le mercredi de 14h15 à 18h s'il s'agit d'une première consultation, 15 Bd de Picpus, 75012 Paris. Contact : mie.idf@medecinsdumonde.net

(3) Selon MDM, 4000 des 7000 mineurs qui se sont présentés en 2017 au dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers de Paris s'en sont vu refuser l'accès sur la base de leur apparence physique.

(4) Un rapport remis en janvier au Premier ministre indique qu'il y a eu 71 962 évaluations de minorité et d'isolement en 2017. Dans 58 % des cas (soit 41 741 jeunes), les adolescents ont été reconnus mineurs.


De rêves et de papier
547 jours avec les mineurs isolés étrangers

(éditions La Découverte, 2017, 16 €)

Ils s'appellent Ali, Oumar, Daniel, Fatoumata, Mirjet, Souley ou Youssef. Rozenn Le Berre les a côtoyés pendant un an et demi comme éducatrice spécialisée chargée d'évaluer leur situation. "Pour chacun de ces jeunes ou moins jeunes, j'ai contribué à orienter la décision", explique-t-elle. "Oui ou non. Mineur ou majeur. L'école ou la rue. L'espoir de régularisation ou le centre de rétention". Puis, elle a pris sa plus belle plume pour donner à voir "la violence de ces destins qui s'échouent sur les rives de l'administration française". Pari réussi : c'est passionnant.

C.H.

11 février 2018

Volontariat international : équilibrer les échanges.

Les voyages, c'est bien connu, forment la jeunesse. Ouverture d'esprit, rencontre des autres, découverte de façons différentes de vivre et de penser : on n'en finirait pas de lister les bénéfices du contact personnel avec "le grand livre du monde" — selon une expression des philosophes des Lumières. Pourtant, si les jeunes Français ont depuis longtemps la possibilité d'exercer leur solidarité auprès des populations du Sud, leurs alter ego de ces pays n'ont pas les mêmes opportunités en France. De fait, quelque 20 000 jeunes habitants de l'Hexagone, toutes modalités d'engagement confondues, partent chaque année à l'étranger pour une mission de volontariat. Mais, ce volontariat "transformateur de la personne et transformateur de société", fonctionne à sens unique, pointe Yves Pelletier, ancien responsable de programmes à France Volontaires, organisme public dédié à ce type d'engagements. "On fait de l'international, on n'accueille pas", commente-t-il. D'où l'intérêt du volontariat international de réciprocité, que promeut France Volontaires depuis quelques années. L'idée est simple : "je vais chez toi, tu viens chez moi". Plus diplomatiquement exprimé, il s'agit de remédier à l'asymétrie des relations Nord-Sud en développant des échanges de volontaires entre la France et les pays qui accueillent des jeunes Français. Pas forcément des échanges "un pour un" dans une vision comptable et simultanée de la réciprocité, mais des échanges bi- ou multi-latéraux entre partenaires, qui tendent à s'équilibrer.


C'est en 2010, avec l'instauration du service civique, que la réciprocité des engagements volontaires à l'international se voit juridiquement et financièrement encouragée. La loi du 10 mars 2010, qui crée ce dispositif de volontariat pour les 16-25 ans (30 ans si les jeunes sont en situation de handicap), permet en effet à tous les pays accueillant des volontaires français d'envoyer eux aussi leurs ressortissants effectuer une mission d'intérêt général en France, pour une durée de 6 à 12 mois. Pendant leur séjour, les intéressés bénéficient de la sécurité sociale et d'une indemnité mensuelle de 477 euros que leur alloue l'Agence de service civique – de la même manière qu'elle le fait pour les volontaires français qui partent à l'étranger. La structure française d'accueil (association, fondation, collectivité territoriale, établissement public) se voit, quant à elle, défrayée de 100 euros par mois pour le tutorat du volontaire, mais elle a à sa charge le logement et la souscription d'une complémentaire santé et d'une assurance rapatriement pour ce dernier, ainsi que, très généralement, ses frais de voyage.

Des rencontres improbables

Rencontre entre le projet porté par un organisme non lucratif dans les domaines de l'éducation, du développement, de la santé, de l'action humanitaire, de l'environnement, de la culture, du sport, ..., et le projet personnel d'engagement d'un jeune, le volontariat international de réciprocité est souvent l'occasion de rencontres assez improbables. Par exemple, celle de Ramasta et de Claudia, venues du Burkina-Faso l'an dernier, avec les jeunes Normands qui fréquentent la mission locale de L'Aigle/Mortagne-au-Perche (Orne) où elles ont été chargées d'un rôle d'accueil et de médiation, celle de Jarbas, Brésilien de 22 ans, avec les élèves du lycée agricole de Radinghem (Pas-de-Calais), où il a réalisé en 2016 une mission d'agrotourisme, ou encore celle de Pranjal, 24 ans, originaire de Pondichéry (Inde), avec des collégiens de Mayenne, en Pays de Loire, à qui il a fait partager, d'un même mouvement, sa connaissance de l'anglais et son amour des danses de " Bollywood".

A l'association Cool'eurs du Monde de Bassens (Gironde), qui coordonne depuis 4 ans des programmes de volontariat international de réciprocité, on insiste beaucoup sur la simultanéité des échanges et le caractère à la fois collectif et individuel de la démarche. Ainsi en 2014-2015, dans le cadre du premier projet de ce type monté par l'association, 10 volontaires Aquitains ont rejoint le Sénégal cependant que 9 jeunes Sénégalais ralliaient la France. Deux temps collectifs avaient été organisés pour les intéressés – appariés en binômes en fonction de leurs centres d'intérêt (rugby, hip-hop, développement local, ...) et censés rester en lien durant leurs missions respectives. "Avant le départ des Français, les Sénégalais ont passé 10 jours avec eux en Gironde", précise Jean-Marc Dutreteau, directeur de l'association. Au terme de leur engagement, tous les volontaires se sont à nouveau retrouvés pour relire collectivement leur expérience. En procédant sur ce modèle, Cool'eurs du Monde a orchestré, depuis 2014, une soixantaine d'échanges mutuels entre volontaires, avec des jeunes venus d'une quinzaine de pays – principalement le Sénégal, le Maroc et le Burkina-Faso. "L'idée est aujourd'hui de nous diversifier au niveau des continents et des Etats", souligne Jean-Marc Dutreteau, qui lorgne du côté du Pérou, de l'Equateur, du Cambodge et du Vietnam.

C'est avec le même souci de variété des partenariats et d'équilibre de la réciprocité que les Cemea Bourgogne (Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active) ont piloté, entre 2012 et 2017, plusieurs échanges tri-latéraux entre Bourguignons, Chiliens de la région du Maule et Sud-Africains de la province Cap occidental : 6 volontaires français partaient pour 6 mois en Afrique du Sud et 4 au Chili ; parallèlement, 6 Sud-Africains et 4 Chiliens venaient en Bourgogne. L'éducation au développement et l'ouverture sur le monde étaient au cœur de ces mobilités croisées, au terme desquelles les volontaires voyaient leur expérience valorisée dans leur projet personnel et professionnel. De fait, il y un vrai besoin de reconnaissance de ce qu'apporte aux jeunes – et aux pays – cet engagement à l'international, souligne Pierre Soëtard, directeur de pôle à France Volontaires. Cet apport s'évalue à la fois en termes d'enrichissement interculturel et d'accroissement des compétences, comme celles dont les volontaires font montre quand, à leur retour, ils se lancent dans la création d'activités économiques. 

Généraliser le principe de la réciprocité

L'accueil de volontaires étrangers continue cependant à pécher par sa modestie. En 2016, 1367 Français ont effectué un service civique à l'international, pour environ 150 jeunes non ressortissants de l'Union européenne missionnés dans le même cadre en France. Il est vrai que le montage de tels projets n'est pas simple et prend du temps, reconnaît Pierre Soëtard. Les associations françaises sont notamment confrontées à la question des financements complémentaires mobilisables pour assurer l'accompagnement des jeunes accueillis et couvrir leurs frais de logement. Le coût des loyers étant particulièrement élevé dans les grandes villes, il y a l'alternative de l'hébergement chez des particuliers. Cette formule présente également l'avantage de permettre aux étrangers de se frotter à la vie de famille hexagonale, mais elle ne s'avère pas toujours appréciée ni des volontaires, ni des logeurs.

 En dépit des difficultés, un nombre croissant d'Etats se disent convaincus que la dimension internationale du volontariat doit être encouragée pour nourrir des liens de coopération et de solidarité plus robustes. Une centaine d'acteurs de 22 pays – représentants d'organisations nationales et internationales de volontariat, d'associations d'envoi ou d'accueil, d'agences de développement – se sont retrouvés à Niamey (Niger), fin novembre, pour l'affirmer. "Dans un monde en pleine mutation, où le vivre ensemble est un défi pour toutes les sociétés, le développement de la réciprocité des engagements est une nécessité", s'accordent-ils à déclarer. Cela implique de renforcer et d'élargir les partenariats et, bien sûr aussi, de mobiliser des investissements à la hauteur de l'enjeu. Pour dépasser le stade de la simple pétition de principe, un groupe d'une dizaine d'organisations de 4 continents (Asie, Amérique latine-Caraïbes, Afrique et Europe) a été constitué. Il tiendra sa première réunion fin février au siège de France Volontaires, en banlieue parisienne. A suivre, donc.



                                                                                Caroline Helfter


Pour toute information complémentaire : https://www.france-volontaires.org/-Reciprocite-.html